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Photo du rédacteurNicolas J. Preud'homme

Les grandes étapes de l'interprétation des textes bibliques

Dernière mise à jour : 15 déc. 2018

À partir du troisième siècle de notre ère, les Pères de l’Église diffusent la connaissance des Écritures par leurs commentaires sur les livres de la Bible. Appliquant une lecture christologique, les théologiens considèrent avec Origène (environ 185-253) que tout récit biblique annonce le Sauveur. Cette approche typologique perçoit le texte sacré comme une image, une métaphore recélant un sens spirituel plus profond. Elle visait à réconcilier l'Ancien et le Nouveau Testament en voyant le premier comme une préfiguration du second. Une autre approche issue des Pères de l’Église, dite allégorique, s'attachait quant à elle à méditer le texte biblique pour en dégager le sens spirituel. Cette double interprétation typologique et allégorique de la Bible demeura dominante jusqu’à la fin du quatorzième siècle.


Philippe de Champaigne, Saint Augustin, huile sur toile, vers 1645-1650, Los Angeles County Museum of Art.


Tandis que l’Église catholique romaine adopte le latin comme langue sacrée, les chrétientés d'Orient développent chacune leur propre littérature dans une langue qui leur est propre : le copte en Égypte, le guèze en Éthiopie, le syriaque au Levant et en Mésopotamie, l'arménien et le géorgien dans le Caucase, le vieux slave en Russie.


Avec la conquête des territoires byzantins par les Turcs, s'achevant par la prise de Constantinople en 1453, l'accès au texte biblique et les études des Écritures devinrent plus malaisées pour les chrétiens en terre d'Islam. Le rapport à la Bible chez les chrétiens orthodoxes passait essentiellement par la liturgie, les sacrements et la vie monastique.

Dans le monde orthodoxe, l'étude de la Bible se fait traditionnellement d'après la traduction grecque de la Septante. Les exégètes se réfèrent à la tradition théologique de Cyrille d'Alexandrie et de Jean Chrysostome, théologiens du quatrième siècle.


Au seizième siècle, la Réforme protestante réaffirme l'autorité de la Bible parmi ses principes : « sola Scriptura » - la doctrine chrétienne s'élabore « par l’Écriture seule », « sola gratia » - seule la grâce permet d'obtenir le salut ; « solus Christus » - Jésus le Messie est le seul médiateur entre Dieu et l'humanité ; « sola fide  » : c'est la foi et non les œuvres qui permet d'accéder au salut.


L'exégèse protestante, nourrie par l'humanisme, s'attacha à rechercher le sens littéral des textes bibliques en prenant ses distances avec l'interprétation allégorique jusqu'alors dominante. Les outils de la linguistique et de la philologie sont appliqués à l'étude des Écritures pour parvenir à les traduire et à les commenter plus fidèlement.

La Réforme contribua puissamment à la diffusion la Bible grâce au développement de l’imprimerie et à la traduction des textes dans les langues vernaculaires. Les chrétiens du Moyen Âge n’avaient accès aux Écritures qu’à travers la liturgie de la messe en latin et les homélies, ainsi qu’au moyen des arts figuratifs – fresques, peintures, reliefs des églises, en plus des pièces de théâtre jouées sur le parvis lors des grandes fêtes, Noël et Pâques.


Avec la Réforme protestante et l’essor du livre imprimé, les théologiens catholiques comme protestants assumèrent les difficultés du texte sacré, ses tensions comme ses contradictions. Le Traité théologico-politique du philosophe Baruch Spinoza, publié en 1670, apparut comme un ouvrage majeur dans ce retour au texte, véritable plaidoyer pour la liberté de philosopher et d’étudier la Bible au moyen de la seule raison. En France, l’exégèse critique fut mise au goût du jour dans le catholicisme par le religieux oratorien Richard Simon (1638-1712) par son Histoire critique du Vieux Testament, fort lue malgré l’interdiction de sa première édition.


Le théologien allemand Julius Wellhausen (1844-1918), fondateur de la « critique radicale », ainsi que son disciple Hermann Gunkel (1862-1932), initiateur de la « critique des formes », établirent les principes fondamentaux de l’exégèse critique contemporaine, qui soumet chaque texte biblique aux exigences de l’analyse historique et textuelle, pour dater un écrit tout en identifiant son genre littéraire. Ces principes furent mis en œuvre en particulier par l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (Ebaf), fondée par le dominicain Marie-Joseph Lagrange (1855-1938) en 1890, dans le prolongement des travaux d’Alfred Loisy (1857-1940).


Faisant face à la crise moderniste, le pape Pie X condamna en 1907 ce courant novateur, « synthèse de toute les hérésies », par l’encyclique Pascendi dominici gregis. En dépit des réticences à analyser de manière critique les textes sacrés, la hiérarchie ecclésiale n’a cependant jamais formulé d’interdit quelconque pour les fidèles à étudier la Bible, d’après le jésuite Pierre Gibert.


En 1943, l’encyclique de Pie XII Divino affiante Spiritu revint sur ces positions en acceptant de manière officielle la théorie des genres littéraires dans la Bible, reconnaissant ainsi que tout n’est pas historiquement vrai dans les Écritures. Ce texte papal n’eut qu’un écho limité, étant donné le contexte de sa publication. Depuis la Seconde Guerre Mondiale toutefois, la méthode critique est admise dans tous les séminaires catholiques.


Dans le monde orthodoxe, l'enseignement de la Bible reprit à Kiev, alors sous domination russe, au cours du dix-huitième siècle. À l'initiative du tsar Pierre le Grand (1682-1725), des académies furent créées à Moscou, Saint-Pétersbourg et Kazan. Les révolutions russes de 1917 provoquèrent la formation d'une diaspora d'intellectuels orthodoxes qui fut notamment à l'origine de la fondation de l'Institut Saint-Serge à Paris en 1925. Les premiers enseignants de cette école de théologie avaient reçu une formation d'historien ou de linguiste, et se trouvaient déjà préparés à une interprétation critique de la Bible selon les modèles occidentaux.


Pour Michel Stavrou, professeur à l'Institut Saint-Serge, « l'exégèse orthodoxe n'est pas une science au sens purement universitaire », mais « plutôt une praxis qui utilise des méthodes scientifiques et s'appuie sur une tradition », ses objectifs étant « la contemplation spirituelle et la transformation intérieure du lecteur, non pas la production d'une signification objective des textes » (propos rapportés dans Vilanova 2018, p.14).


Dans les pays de l'ex-bloc de l'Est de tradition orthodoxe, l'une des conséquences du retour à la liberté religieuse consista en une opposition latente à tout ce qui pouvait rappeler la critique scientifique soviétique. Aussi, la méthode critique d'interprétation de l’Écriture continue d'y être regardée avec suspicion. Il existe cependant un renouveau de l'exégèse visible notamment en Grèce, avec les travaux de Sabbas Agouridis et Petros Vassiliadis, théologiens de l'Université Aristote de Thessalonique, engagés dans le dialogue œcuménique. En France, plusieurs membres de l'Institut Saint-Serge ont collaboré à la nouvelle édition en 2010 de la Traduction Œcuménique de la Bible (TOB).


Dans l'orthodoxie, le poids de l'institution en matière de doctrine y est moindre que dans le catholicisme, car, chez les orthodoxes, prévaudrait, selon Michel Stavrou, l'idée que c'est tout le peuple de Dieu qui doit garder la vérité de la foi chrétienne. En revanche, contrairement au protestantisme, on n'y retrouve pas l'approche individualiste de la lecture biblique.


Céline Rohmer, maître de conférences en Nouveau Testament à l’Institut protestant de théologie de Montpellier, et pasteure de l’Église protestante unie de France (EPUdF, luthéro-réformée), présente la manière dont les protestants luthériens et réformés considèrent l'exégèse.

« Chez les luthéro-réformés, l’exégèse consiste en une lecture critique de la Bible, en maniant les outils issus des sciences humaines qui permettent de mettre à distance les textes. Pour autant, ce n’est pas un travail d’historien. Du travail de distanciation s’ensuit un travail d’appropriation. »


La bibliste Valérie Duval-Poujol, de confession baptiste, auteure de Dix clés pour comprendre la Bible , souligne : « Dans le protestantisme, l’exégèse est un balancier ». Dans son esprit, les théologiens qui pratiquaient l’approche historico-critique ont fini par constater sa « sécheresse » et tendent actuellement à privilégier de nouvelles approches, comme la narratologie, qui appréhende le texte biblique « dans son état final ». « Le but, avance-t-elle, est que le texte nous rejoigne aujourd’hui. »


Dans le domaine de l'interprétation des textes bibliques, catholiques et protestants luthéro-réformés ont effectué un rapprochement considérable, à tel point que, d'après Valérie Duval Poujol, « au niveau de l’exégèse, l’approche des différents chrétiens est semblable. En revanche, il n’existe aucun lieu où l’on réfléchit à nos herméneutiques, c’est-à-dire nos façons d’interpréter ». « Les progrès de l’œcuménisme font qu’il n’y a aujourd’hui presque plus de séparation confessionnelle dans l’exégèse ». La marque la plus visible de ce succès réside dans la Traduction œcuménique de la Bible (TOB) en français, où les notes de commentaire sont le fruit de la collaboration de théologiens protestants et catholiques.


D'après la journaliste Marie Malzac, protestants et catholiques étudient aujourd’hui les Écritures avec une grande liberté. Une différence demeure dans la façon dont la Bible est interprété au sein de ces courants du christianisme. Tandis que les catholiques doivent théoriquement tirer de l'exégèse des interprétations cohérentes avec les dogmes de l’Église, les protestants n'y sont pas tenus. Il n'empêche, si l'on en croit l'avis d'Antoine Nouis, théologien et bibliste, « toutes les traditions chrétiennes se méfient des lectures trop personnelles. »


Les évangéliques privilégient quant à eux une approche plus littérale, axée sur les enseignements moraux et l'exercice de la piété se nourrissant des exemples tirés des textes bibliques. La diversité des approches est donc toujours de mise dans les courants variés du protestantisme. « À une extrémité du spectre, on trouve les adeptes d’une lecture historico-critique pure et dure, qui utilisent des outils scientifiques pour décortiquer le texte sans s’attacher à la dimension existentielle, commente Valérie Duval-Poujol. De l’autre côté, on trouve une approche bibliciste, qui va aborder la Bible comme un manuel de cuisine, composé de différentes recommandations. Entre les deux, il y a de nombreuses nuances. »

Ces différences dans l'exégèse expliquent les débats parfois vifs qui impliquèrent les protestants autour de certaines questions éthiques, notamment le mariage entre personnes du même sexe, comme ont pu le constater les observateurs du Synode de Sète de l’Église protestante unie de France en 2015.


« Cette pluralité des approches résonne avec la pluralité des voix qui s’expriment dans la Bible, affirme Céline Rohmer. La Bible n’a rien à craindre de la science, même des interprétations les plus libérales. Il peut arriver, parfois, que le texte se fasse Parole, c’est-à-dire qu’il parle dans l’existence de celui qui le reçoit. Il devient alors une expérience. Et sur cela, aucun type d’exégèse n’a la maîtrise. »


Billet de Nicolas J. Preud'homme.


Références de l'article

Claire Lesegretain, « Lire la Bible dans le catholicisme », La Croix, samedi 27, dimanche 28 octobre 2018, p.14.

Marie Malzac, « Lire la Bible dans le protestantisme », La Croix, samedi 20, dimanche 21 octobre 2018.

Marcel Neusch, « Il y a un siècle, la crise moderniste », La Croix, samedi 29 décembre 2007.

Constance Vilanova, « Lire la Bible dans l'orthodoxie », La Croix, samedi 3 - dimanche 4 novembre 2018, p. 14-15.


Pour aller plus loin

Valérie Duval-Poujol, Dix clés pour comprendre la Bible, Empreinte, 146 p.

Antoine Nouis, Le Nouveau Testament. Commentaire intégral verset par verset, Olivétan - Salvator, 2018, 1 650 p.


Référence de l'image

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Champaigne,_Philippe_de_-_Saint_Augustin_-_1645-1650.jpg ; http://bp3.blogger.com/_hOqI9H5CI-Y/Rd09qAhwQHI/AAAAAAAAAQM/qAeWSYW42rs/s1600-h/M88_177.jpg

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